Les tropismes poutiniens du Figaro
Nous avons souvent eu l'occasion de souligner - et de documenter la chose - qu'il y au Figaro, un peu en douce, en lousdé, à la sournoise, des tropismes poutiniens distillés au gré des articles ou des tribunes. Nous en avons un exemple de plus avec, dans l'édition du 27 mars, un reportage dans l'oblast de Koursk où les forces armées ukrainiennes ont fait une percée remarquée le 26 août 2024 (elles en contrôlent encore 80 km carrés).
D'emblée, le titre du reportage donne la tendance : "De Soudja à Koursk, les plaies béantes de l'incursion ukrainienne". L'Ukraine a été envahie, elle est sauvagement pilonnée nuit et jour, on y compte des dizaines de Boutcha, les enfants ukrainiens des oblasts aux mains des Russes ont été déportés en Russie, etc. Mais quand l'armée ukrainienne riposte, façon réponse du berger à la bergère (histoire de montrer aux Russes ce que ça fait d'être envahi), les médias poutinophiles ne cachent pas leur désapprobation.
Le Figaro nous dit : " Dans Soudja, le niveau de dévastation dépasse l’entendement. La ville a été aplatie par sept mois de pluie d'obus". Certes. Mais il serait bien de préciser que cette pluie d'obus a été déversée par les Russes. Sans états d'âme pour leurs propres compatriotes pris sous ces feux "amis"... Aujourd'hui, Soudja ayant été en partie reprise, Moscou se soucie de l'évacuation des civils restés dans la ville (sans avoir subi, soit dit en passant, de maltraitances spécifiques de la part des forces ukrainiennes). Cette évacuation est menée par de "courageux volontaires", nous dit l'envoyé spécial du Figaro.
Le même n'a pas de mots assez forts - on a presque envie de dire : admiratifs - pour décrire "les combattants de la reprise de Soudja (qui) reviennent en héros" (après être partis la queue entre les jambes, là encore soit dit en passant). Par exemple Zazoulevka "une jeune volontaire russe au regard d’acier (sic)". Ou encore Pianitsa, Hector et Splinter : "Ils sont devenus des moujiks, de vrais mecs, en l'espace de quelques mois".
On a droit aussi à une évocation propre à faire pleurer dans les datchas et dans les salles de rédaction empoutinisées avec une cérémonie au cimetière de Koursk : " Ces hommes sont issus des bataillons de volontaires Arbat ou Piatnachka, certains sont d'anciens du groupe Wagner". Sacrés "héros" en effet que ces criminels de guerre, bourreaux du peuple ukrainien, vraiment dignes d'être cités dans une pleine page du Figaro... D'ailleurs pas d'équivoque dans les propos rapportés d'un de ces anciens de Wagner, aujourd’hui membre de Redout (1) : "Il faut au moins prendre toute la Novarossia, c'est-à-dire tout le Sud jusqu'à Odessa et jusqu'au Dniepr, voire au-delà. Pour Kiev, on verra".
Zelensky a raison de rappeler inlassablement : " Le Kremlin ne veut pas la paix (...). Je vous confirme aussi que Poutine essaie de gagner du temps et qu'il se prépare à une offensive de printemps". Offensive à venir que nous évoquions dans un tout récent blog, avec concentrations de troupes dans les régions de Soumy, de Kharkhov et de Zaporijjia (notamment). Poutine voulait lancer cette opération il y a huit mois. "Mais nous l'avons empêché grâce à notre intervention à Koursk. Voilà pourquoi aujourd'hui il a besoin de temps", rappelle encore Zelensky.
C'est un partie de la stratégie de Poutine que de faire traîner les discussions. Quitte à violer des accords prétendument acceptés (comme en Géorgie, en Crimée, au Donbass, etc.). Pour le coup, il est aidé en cela par un Trump plus que conciliant (manière soft de dire les choses) dans son obsession à tricoter un accord de paix.
L'Ukraine a notamment un besoin urgent de défenses anti-aériennes efficaces. Les Américains, qui en disposent, semblent traîner des pieds (et c'est un euphémisme).Le problème, c'est que les Européens, qui ont des moyens quasi similaires, rechignent toujours à les livrer à Kiev (malgré des promesses réitérées et des câlins pelotards de Macron sur la personne de Zelensky).
Alain Sanders
(1) Fédération de milices armées. Coiffée par le GRU et coordonnée par le ministère russe de la Défense.